Il ne faut pas confondre les cirques, destinés aux courses de chars, avec les stades de Rome et des pays de tradition hellénique (Grèce continentale, Îles Égéennes, Asie Mineure), de forme à première vue similaire, mais destinés aux exercices d'athlétisme, et donc de dimensions plus modestes et dépourvus de mur central et de stalles. Il ne faut pas non plus confondre les cirques avec les amphithéâtres (de forme elliptique, type Colisée ou arènes d'Arles, amphithéâtre de Capoue), destinés aux combats de gladiateurs, aux venationes (spectacles de combats avec des fauves) et naumachies, souvent nommés, un peu à tort, jeux du cirque.
Pline l'Ancien rapporte qu'aux funérailles de Félix, un célèbre cocher de Rome, l'un de ses partisans, éperdu de chagrin, se jeta sur le bûcher de son héros... Un geste insensé qui en dit long sur la folle passion des supporter pour les courses de chars et les épreuves de jeux du cirque. Les Gallo-romains nourrissaient-ils de semblables sentiments pour leurs auriges préférés ? Si de tels excès y sont heureusement inconnus, les scènes de cirque qui ornent de nombreux objets de la vie quotidienne témoignent cependant d'un réel engouement.
Les cirques sont les équivalent de nos hippodromes. C'est là en effet que se disputaient les courses de chevaux et de chars. L'architecture de ce monument se caractérise par son plan dessinant un rectangle allongé, incurvé en hémicycle à l'une de ses extrémités. Un terre plein central, la spina (l'épine), partage la piste en deux dans le sens de la longueur. Décorée de statues, de bas-reliefs, d’autels, d’obélisques et parfois même de bassins, la spina se termine, à chacune de ses extrémités, par une grosse borne arrondie, la meta, qui marque l’emplacement des deux virages et autour de laquelle doivent tourner les compétiteurs. Sur le petit côté rectiligne de la piste s’ouvrent les caceres, c’est-à-dire les boxes où viennent se ranger les attelages pour le départ. Celles-ci sont suffisamment spacieuses pour loger un attelage et un garçon d'écurie chargé de tenir les guides jusqu'à l'ouverture des portes. Ces-dernières sont légères et constituées de deux battants ajourés en bois. Un mécanisme ingénieux permet utilisant des cordes permet l'ouverture simultanée des portes. Au-dessus de ces stalles se tiennent généralement les bâtiments de service et surtout la tribune d’honneur où prennent place les magistrats. Les gradins se développent tout autour de la piste, sur les longs côtés ainsi que sur le petit côté semi-circulaire. Ce sont eux qui, bâtis en dur, font du cirque un monument de spectacle à part entière où le confort du public est tout aussi recherché que le déroulement optimal des épreuves.
La piste est de longueur variable selon les cirques et composée de plusieurs couches de matériaux suffisamment dur pour résister aux passages répétés des chars. À la surface est répandue une couche de sable ou de terre.
Plusieurs villes de la Gaule romaine possédaient un cirque mais ils étaient largement moins répandus que les théâtres et les amphithéâtres. S’il ne reste rien de ceux de Nîmes et de Trèves, la rue du cirque romain pourrait évoquer la présence de l’édifice nîmois près de la porte de France, le long du rempart augustéen. La ville de Saintes aurait été, elle aussi, équipée d’un tel monument. Son emplacement, dans la dépression de la Combe, aurait été confirmé en 1944. Attesté par quelques inscriptions lapidaires qui mentionnent des spectacles ainsi que le financement de la restauration de cinq cent places dans ses gradins, celui de Lyon demeure mal localisé. Il pourrait s’étendre au fond de la vallée du Trion. Fouillé sommairement de 1903 à 1907, le cirque de Vienne se déployait sur une longueur de 457 m pour une largeur de 118, entre le Rhône et le pied des collines. De la spina, longue de 262 m, ne subsiste aujourd’hui que la pyramide qui se dressait en son milieu. Haute de 23 m et connue localement sous le nom de l’Aiguille, cette pyramide, inachevée selon toute vraisemblance, aurait remplacé tardivement un obélisque de facture plus soignée.
Le dossier des cirques gallo-romains serait bien lacunaire si les fouilles du monument d’Arles (à partir de 1974) n’avaient apporté des données architecturales plus précises. Ses dimensions d’abord. Long d’environ 450 m, il offrait une largeur de 101 m et ses dix rangées de gradins pouvaient recevoir quelque 20 000 spectateurs. Les archéologues ont mis au jour les compartiments rectangulaires servant de soubassement aux tribunes aménagées sur le périmètre de la piste. On a pu ainsi restituer la partie méridionale du cirque avec la sphendoné, c’est-à-dire la fermeture en forme de fer à cheval. 25 000 à 30 000 pieux de fondation en chêne et en pin ont été nécessaires pour asseoir solidement la maçonnerie sur des pilotis, en cette zone humide. Ces pieux ont permis une analyse dendrochronologique qui a livré une date indiquant le milieu du IIe siècle de notre ère. Mais les travaux de ré-aménagement de cet énorme monument étaient encore effectués au Ive siècle… Au milieu de la spina s’élevait un bel obélisque taillé dans une roche de provenance turque, qui, retrouvé parmi les vestiges de l’édifice, fut transporté et érigé devant l’église Saint-Trophime en 1676, pour la plus grande gloire du roi Louis XIV… Cet obélisque s’y dresse encore aujourd’hui.
Quels sont les épreuves disputées lors des jeux du cirque ? On applaudit des courses de chevaux avec les combinaisons et les acrobaties les plus variées. Les jockeys conduisent parfois deux chevaux simultanément, sautant de l’un à l’autre et terminant même à pied en tenant leurs montures par la bride. Mais ce sont les courses de chars qui déchaînent les passions les plus vives et font monter de formidables clameurs, pour reprendre l’expression du poète Martial. On vibre certes pour les chars à deux ou trois chevaux – les biges et les triges – mais l’équipage le plus apprécié, le quadrige en comporte quatre.
Les équipages frémissants sont rangés dans les carceres. La foule retient son souffle. La trompette résonne dans le cirque et bientôt, le président des jeux, du haut de sa loge, jette sur la piste une serviette blanche. C’est le signal tant attendu ! Les barres de bois qui ferment les stales s’ouvrent aussitôt et les chars s’élancent. Ils peuvent être quatre ou huit en compétition, mais certaines courses en confrontent jusqu’à douze. Dans un halo de poussière, on aborde le premier virage à gauche. La borne se rapproche dangereusement. Tout le talent du cocher consiste à négocier au plus près ces courbes brusques. Les prend-il trop serrées, alors la roue et l’essieu de bois se brisent sur la meta et le char fait naufrage. Choisit-il une trajectoire trop lâche, alors les autres concurrents le double et la course est irrémédiablement perdue, au grand désespoir de ces milliers de partisans fanatiques… À chaque tour, des dauphins ou de gros œufs de bois – les septem ova – sont basculés en guise de compte tours, pour que les spectateurs suivent au mieux la progression de l’épreuve. Les sparsores puisent de l'eau dans les bassins que contient la spina, et aspergent chevaux et cochers en pleine action. Tout les coups sont permis pour se rapprocher de la corde. Le public redouble d'enthousiasme quand les chars extérieurs viennent serrer au plus près ceux de l'intérieur pour les envoyer se fracasser contre la spina. De même, à n'importe quel moment de la course, les concurrents sont autorisés à se gêner. Sept tours ont maintenant été accomplis. Arrive le terme de la course alors que résonne de nouveau la trompette. Sous les vivats de la foule qui n’a d’yeux que pour son héros, l’attelage vainqueur franchit enfin la ligne blanche tracée sur la piste. La palme est remise à l’aurige triomphant et le son des trompettes redouble pour saluer le vainqueur.
Les mosaïques offrent une source irremplaçable pour mieux connaître les jeux du cirque. En Gaule, celles de Lyon, Trèves et Sennecy-le-Grand (Saône-et-Loire) comptent parmi les plus remarquables.
Mise au jour en 1806, à l’île d’Ainay, la grande mosaïque de Lyon (5,04 m x 3,09 m) offre l’image particulièrement vivante de huit quadriges en pleine compétition.
À gauche apparaissent les
carceres d’où sont partis les attelages et au-dessus, la tribune où siègent trois notables qui président aux jeux. Au deux extrémités de la spina se dressent les metae surmontées par trois bornes en forme de quilles. Un obélisque, des bassins et les dispositifs destinés à compter les tours complètent le terre-plein central. Deux chars viennent de faire naufrage et la lutte est serrée entre les quatre factions, les verts, les rouges, les bleus et les blancs. Un hortator à cheval accompagne les chars et les stimule tandis qu’à un angle de la piste, un sparsor s’apprête à jeter de l’eau sur la piste ou sur un attelage. L’issue de la course est proche et deux personnages, au milieu de la spina et près de la ligne d’arrivée, tiennent une couronne et une palme qu’ils remettront bientôt à l’aurige vainqueur.
Les auriges de métier étaient de basse condition, mais la passion des courses s’est emparée de la haute société ; ainsi, on sait que l’empereur Néron a participé à plusieurs courses.
Polydus fut un cocher fort apprécié, il figure sur une mosaïque du IIIe siècle retrouvée en 1962 sous les termes impériaux de Trèves. D’autres auriges ont également été immortalisés sur des mosaïques : Priscianus, Communis, Bellario et Peculiaris, sur un pavement de Sennecy-le-Grand, et Superstes, Euprepes, Fortunatus et Philiolus sur une autre mosaïque de Trèves. Un bas-relief exposée à Trèves mais provenant de Neumagen-Dhron, montre un homme jeune conduisant un cheval par la bride. C’est un aurige comme l’indique sa tunique courte et ajustée par des lanières, tenue habituelle des conducteurs de chars. Il tient un fouet mais n’a pas encore mis son casque ni passé son ceinturon muni d’un couteau. En effet, en cas de naufrage, le cocher se servait de cette arme pour trancher les rênes afin de ne pas être traîné sur la piste…
Dans un attelage, le cheval de gauche tenait un rôle majeur. La course se déroulant toujours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, c’est de son côté que le char passait au plus près de la meta. Ce cheval était lui aussi une vedette et son nom était connu des spectateurs. C’est ainsi qu’à Trèves par exemple, Polydus avait pour cheval majeur (celui de gauche donc) Compressor.
L’épitaphe d’Eutyches, esclave de vingt-deux ans et mort à Tarragone en Espagne, est particulièrement précieuse car riche d’information : En ce sépulcre-ci ont trouvé le repos les os d’un apprenti aurige, point inapte, pourtant, à manier les rênes. Moi qui osait déjà aspirer aux quadriges, et qui dus en rester aux chars à deux chevaux ! Les barbares Destins jalousaient mes années, destins qu’il est vain de combattre. Je n’ai pas pu jouir, à mes derniers instants, de la gloire du cirque, ni vu le peuple ému verser sur moi des larmes. Ce fut un mal ardent qui brûla mes entrailles, et dont le médecin ne put venir à bout. Voyageur, je te prie, répands sur moi des fleurs : peut-être en mon vivant, as-tu parié sur moi ? Eutyches aspirait aux quadriges et rêvait d’accéder à l’élite des cochers, les milliarii, plus de mille fois vainqueurs, à l’instar du célèbre Dioclès à l’incroyable palmarès : 3 000 victoires en biges, 1 462 en quadriges.
Bien des intellectuels condamnaient les folles les folles passions des jeux du cirque et se réjouissaient de ne pas les partager…
Tout le temps qui vient de s’écouler je l’ai passé entre mes tablettes et les opuscules dans le plus délicieux repos. Comment, dites-vous, serait-il possible à la ville ? C’étaient les jeux du Cirque, genre de spectacle qui ne me séduit à aucun degré. Là dedans, rien de nouveau, rien de varié, rien qu’il ne soit assez d’avoir vu une fois. Aussi suis-je étonné que tant de milliers d’hommes soient sans cesse repris, comme de grands enfants, du désir de voir des chevaux lancés à la course, des cochers debout sur des chars. Si encore on s’intéressait soit à la rapidité des chevaux, soit à l’habilité des cochers, ce goût pourrait s’expliquer ; mais c’est l’habit qu’on applaudit, c’est l’habit qu’on aime et si en pleine course et au beau milieu de la lutte, la première couleur passait au second cocher et la seconde au premier, les vœux et les applaudissements changeraient de camp et tout à coup les fameux conducteurs, les fameux chevaux qu’on a l’habitude de reconnaître, dont on ne cesse d’acclamer les noms seraient plantés là. Telle est la faveur, telle est l’importance qu’accordent à une misérable tunique, passe encore la foule plus misérable encore que la tunique, mais certains hommes sérieux. Quand je pense que c’est cet amusement futile, sot, monotone, qui les cloue à leur place, jamais rassasiés, j’éprouve une certaine joie à ne pas éprouver celle-là. Et pendant les jours que nous traversons, je consacre avec beaucoup de plaisir aux lettres les heures oisives, que d’autres perdent aux plus oisives occupations. Adieu. Pline le Jeune, lettres, IX, 6
Les concurrents sont des professionnels faisant partie d'équipe (factiones). Les courses de chars comprennent un nombre limité d'écuries définies par une couleur : Les Rouges (en latin Russata), les Bleus (en latin Veneta), les Blancs (en latin Albata) et les Verts (en latin Prasina) sont les plus fameuses.
D'autres écuries ont parfois tenté leur chance mais sont restées largement en retrait par rapport aux quatre factions traditionnelles. Ces écuries qui évoluent dans les cirques de Rome ont leurs équivalents locaux à travers tout l'Empire. Ce sont de véritables clubs, au sens actuel du terme. Ainsi, les "propriétaires" de chevaux n'apparaissent pas, c'est la faction qui remplit cette fonction.
Le poète latin Ovide, à lui trouvé une autre utilité à la fréquentation du cirque :
Le cirque, avec son nombreux public, offre de multiples occasions (...) Assieds-toi contre celle qui te plaît, tout près, nul ne t'en empêche ; approche ton corps le plus possible du sien ; heureusement la dimension des places force les gens, bon gré mal gré, à se serrer, et les disposition du lieu oblige la belle à se laisser toucher. Cherche alors à engager une conversation qui servira de trait d'union, et que tes premières paroles soient des banalités. À qui sont les chevaux qui viennent là ? demanderas-tu avec empressement, et, immédiatement, son cheval favori, quel qu'il soit, doit être le tien (...).
Si, comme il arrive, il vient à tomber de la poussière sur la poitrine de la belle, que tes doigts l'enlèvent ; s'il n'y a pas de poussière, en lève tout de même celle qui n'y est pas : tout doit servir de prétexte à tes soins officieux. Le manteau, trop long, traîne-t-il par terre ? Prends-en le bord, et, avec empressement, soulève-le du sol malpropre. Aussitôt, récompense de ton zèle officieux, sans que ta belle puisse s'en fâcher, tes yeux verront des jambes qui en valent la peine.
Regarde également tous qui seront assis derrière vous : que leur genou ne vienne pas d'appuyer trop fort contre son dos délicat. De petites complaisances captivent ces âmes légères ; plus d'un s'est félicité d'avoir arrangé un coussin d'une main prévenante. On n'a pas regretté non plus d'avoir agité l'air avec un léger éventail et d'avoir placé un tabouret creux sous un pied délicat.
Toutes ces facilités pour un nouvel amour, tu les trouveras au cirque (...) O, parle, on touche une main, on demande un programme, on engage un pari sur le vainqueur, et voici qu'une blessure vous fait gémir, que l'on sent une flèche rapide et que l'on joue soi-même un rôle dans les jeux que l'on regarde. Ovide, L'art d'aimer, Livre I
Ben-Hur Clip : link
Sources : Voyage en Gaule romaine, G. Coulon. J-C Golvin. éd. Actes Sud - Errance _ Histoire Antique & Médiévale, Hors série N° 26