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Les lieux en hauteurs
Le sanctuaire de Donon[1] offre deux caractéristiques majeures des lieux liés ou consacrés à Mercure : la proximité avec les routes et un point situé en hauteur. Comme Lugus, Odin était honoré sur les hauteurs. Dans l’Angleterre anglo-saxone, les anciens toponymes indiquent que Woden était associé aux collines et tumulus artificiels. Cette dernière caractéristique se vérifie aisément, en Gaule mais aussi en Irlande avec le dieu Lug (la plupart des célébrations de Lugnasad – fêtes en son honneur – ont lieu sur des hauteurs).
En Gaule romaine, les temples dédiés à Mercure s’élevaient sur des sommets même si les divinités étaient fréquemment honorées sur ce type de lieu. À la période de la Gaule indépendante, les sanctuaires occupaient d’ailleurs souvent une position dominante, sur le versant ou au sommet d’une colline, sur un éperon ou plus simplement sur une légère éminence "; par exemple les sanctuaires localisés dans le nord de la France se trouvaient dans leur grande majorité sur les plateaux et toujours sur des points culminants.
Le premier type d’indices qui associent Mercure aux lieux en hauteur concerne la série des toponymes en lugdunum, dont les plus célèbres sont Lyon et Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne). Ce nom signifie « Forteresse de Lugus » et le second élément de ce composé (d num) a littéralement le sens de « hauteur, colline », ce qui donne à penser que les toponymes étaient appliqués à des endroits situés en hauteur. C’est notamment le cas à Lyon, puisque le lieu supposé de sa création est la colline de Fourvière, ce point élevé où se dressait auparavant un sanctuaire gaulois. Les lieux appelés Lugdunum étaient donc certainement dédiés à Lugus, ce dieu qui est devenu par la suite le Mercure gallo-romain.
Le second type d’indices concerne les représentations de Mercure retrouvées sur des hauteurs. Le Mercure des Arvernes exécuté par Zénodore[2] se trouvait probablement sur le Puy-de-Dôme. D’autres exemples sont notables : on rendait culte à Mercure au Montmartre, près d’Avallon (Yonne), au mont de Sene, au mont Saint-Jean en Bourgogne, ou encore au mont Mercure (Côte d’or) qui domine le village de Barjon, situé dans l’ancien territoire des Lingons. Dans les Vosges, le temple du Donon se situe sur une hauteur. Dans cette région Mercure a remplacé l’ancienne divinité topique indigène Vosegus, éponyme des Vosges.
Dans la Gaule chrétienne, le culte de saint Michel a sans doute succédé à celui de Mercure-Lugus. De nombreux sanctuaires situés en hauteur ont été christianisés par la construction d’une chapelle dédiée à saint Michel. C’est le cas dans le village vendéen de Saint-Michel-Mont-Mercure, où l’église dédiée à saint Michel a pris la place d’un temple consacré à Mercure.
L’association entre Mercure et les hauteurs ne fait guère de doute. Elle peut sans doute s’expliquer en partie par sa fonction d’organisateur de l’espace. Un sommet est un lieu qui permet d’avoir une position stratégique de premier ordre, comme en cas de menace d’attaque. Il sert également de point de repère ou de point de départ à l’organisation du territoire environnant. Ce n’est certainement pas un hasard si de nombreuses oppida celtiques – c’est-à-dire ces villes fortifiées qui faisaient office de centres religieux, administratifs et économiques – étaient construits sur des hauteurs, comme Bibracte chez les Eduens, Vully chez les Helvètes ou Závist chez les Boïens.
Sanctuaires, frontières et routes
En Gaule (mais aussi en Irlande), les lieux en hauteur ont une grande importance d’un point de vue religieux et stratégique. Cela se vérifie par plusieurs exemples. En Gaule une centaine de sanctuaires pouvaient être situés à proximité de la frontière de deux ou trois cités. Ces limites restent approximatives – elles sont généralement restitués à partir des limites des anciens diocèses, ce que la prospection aérienne a permis de confirmer. En Picardie, nombre de sanctuaires laténiens[3] situés en hauteur se trouvent aux confins des territoires des différents peuples ; mieux, beaucoup d’entres eux se trouvent le long de chemins anciens, dont le tracé à généralement été repris par une voie romaine.
L’épithète de Mercure, Finitimus, « Protecteur des frontières » atteste bien le lien existant entre celui-ci et les frontières. Autre indice, les lieux dédiés à Mercures sont régulièrement situés sur des limes ou au carrefour des territoires de deux ou trois peuples. Ainsi le Donon se trouvait aux confins des cités des Médiomatriques, des Triboques, et des Leuques. Lyon était à la frontière des Ségusiaves, des Allobroges et des Ambarres ; suite à la conquête romaine, le nouveau découpage de la Gaule à placé cette ville à porté des quatre provinces gauloises (Lyonnais, Aquitaine, Belgique et Narbonnaise). Un autre Lugdunum antique, Lion-en-Sullias (Loiret) se trouvait à proximité de la frontière des Carnutes, des Sénons et non loin des Bituriges. En outre, Lion-en-Sullias pourrait se trouver dans la zone du fameux locus consecratus de César, où les druides gaulois se réunissaient tous les ans.
Dans la Nièvre, la ville d’Entrains est particulièrement intéressante car ce centre religieux, renommé à l’époque gallo-romaine, où l’on honorait plus particulièrement Mercure, est situé sur un promontoire, et était un nœud routier, où passaient au moins six voies importantes (routes dirigées vers Auxerre, Clamecy et Autun, Saint-Révérien et Autun, Mesves et Clermont, Cosne et Bourges, Briare et Orléans). Une position stratégique qui lui a permis de se développer, sur une zone limitrophe entre les Éduens et les Sénons.
Lorsque les Celtes se sont installés sur le territoire devenu ensuite la Gaule, la réelle délimitation de l’espace s’est sans doute réalisée par la création des sanctuaires ; le choix du point de départ pour leur implantation ne devait ainsi rien au hasard. Cette première étape, qui marquait le début de l’organisation de l’espace, s’est déroulée en un lieu susceptible d’être consacré à Mercure.
Ces sanctuaires gaulois peuvent donc être définis selon trois éléments principaux : présence d’un lieu en hauteur, de frontière et de routes. Or, toutes ces caractéristiques se retrouvent chez le Mercure gallo-romain. Ce dieu est ainsi associé à des lieux qui servent de point de départ à l’établissement d’une communauté humaine.
La documentation faisant défaut, il serait néanmoins ambitieux de prétendre que Mercure patronnait l’ensemble de ce type de sanctuaires.
Le temple de Mercure - Dumias :
[1] et [2] Voir 1ère partie
[3] Laténien (adjectif de la Tène) second âge du fer qui correspond à la période du Vè siècle avant Jésus-Christ, au début de l'ère chrétienne et qui marque la fin de la Protohistoire.
Source : Histoire Antique N° 39