Au Vè siècle, le peuple dominant, le peuple triomphant en Gaule, c'est le peuple Wisigoths. Installés en Aquitaine, ils se sont emparés de l'Auvergne, ont poussé jusqu'à la Loire et ne semblent pas décidé à s'en tenir là.
Les Wisigoths ainsi que les Burgondes qui eux aussi ont agrandi leur territoire en pénétrant dans l'intérieur de la Gaule pratique l'arianisme, une religion hérétique qui nie le mystère de l'incarnation.
Retranchés entre Seine et Loire, les chrétiens restés fidèles au concile de Nicée comprennent alors que si l'on ne met pas fin à la progression des Wisigoths et des Burgondes, l'arianisme s'imposera en Gaule et en Occident.
[ci-contre]
L'empereur Constantin, entouré des évêques conciliaires présente le texte du symbole de Nicée, adopté lors du premier concile œcuménique
Un plan de bataille commence à s'imposer aux évêques catholiques. Après tout, la conversion d'un seul homme, Constantin, un siècle et demi plus tôt, avait suffi pour sauver l'Église. Qu'un prince catholique, audacieux et brave, se dresse devant les chefs Wisigoths et Burgondes et leurs ambitions, et, avec l'aide de Dieu, la Gaule serait libérée de l'hérésie; le sort de l'occident chrétien en serait changé !
Encore fallait-il trouver ce prince...
Il ne viendrait pas de Rome, prise et ruinée par les Goths. Il ne viendrait pas de la faible enclave latine que Syagrius, isolé dans Soissons, s'efforçait de maintenir. Il ne viendrait pas d'Armoriquedontleschefs bretons avait déjà beaucoup à faire pour protéger les côtes contre les Saxons et la frontière contre les Alains.
Aucun prince catholique n'était à même d'affronter victorieusement les Wisigoths et les Burgondes. Pour le moment...
Car si ce prince n'existait pas encore, il était possible de le susciter, voire de le fabriquer.
Le choix de l'Église
Alors les évêques se tournèrent vers les païens. À leur élu, ils avaient à offrir la Gaule et l'héritage de Rome : un vieux pays, un vieux peuple, une vieille culture. Ces trois richesses, il en serait le maître. À une seule condition, fondamentale : qu'il embrasse la foi catholique, qu'il s'en fasse le champion, le défenseur.
Les regards catholiques se tournèrent vers le Nord. Il y avait là un peuple de courageux guerriers auquel Rome avait souvent fait appel et dont les chefs paraissaient intelligents et raisonables : les Francs.
Les Francs, c'est ce peuple germanique formé par l'union des Bructères, des Chattes, des Saliens et des Sicambres. Menés par leur chef Childéric, ils ont par deux fois, en 463 et en 468, largement contribué, à la demande de Syagrius, à repousser les armées wisigothes d'Euric.
À la mort de Childéric c'est son fils de 15 ans Chlodowig (Clovis) qui est hissé sur le pavois.
Pour Rémi l'évêque de Reims, qui rêve d'une Gaule libre, réunifiée, forte et catholique, celane fait aucun doute, Clovis est l'homme providentiel. Il lui écrit une lettre dans laquelle il lui reconnaît un début de légitimité : «Tu es ce que tes pères ont été...». Il lui fait une proposition d'alliance : «Montre toi plein de déférence pour tes évêques et recours toujours à leur avis». Il lui donne un conseil, presque un avertissement : «Si tu t'entends avec eux, ton pays s'en trouvera bien». Et une promesse «Si tu veux régner...» qui révèle la confiance et l'espoir que l'Église porte en lui, en dépit de Syagrius qui aux yeux des évêques ne représente plus l'avenir.
«Montre t-en digne» lui dit Rémi. S'en montrer digne, c'était suivre, aussi scrupuleusement que possible les règles de vie qu'avait tracées ce dernieràson intention. Des lois faites pour les chrétiens. Faudrait-il en passer par là ? Le catéchuménat, la messe, le baptême... Saint Rémi (détail-vitrail)
La proposition de Rémi méritait qu'on y réfléchisse.
Progressivement, Clovis fait la conquête des territoires environnant les terres dont il a hérité. En général les villes s'ouvrent devant lui sans résistance. Il n'est pas considéré comme un ennemi, pourtant le chef Franc ne peut empêcher par ses hommes, le pillage des riches habitations ni même des lieux de cultes.
Le vase de Soissons
Or, lors du pillage d'une cathédrale, un vase sacré d'un travail et d'une beauté tout à fait exceptionnels à été dérobé. Les autorités religieuses demandent à Clovis la restitution de cet objet. Celui-ci, s'il n'entend pas grand chose aux subtilités du culte catholique (calices et ciboires ne sont à ses yeux que de la vaisselle plus ou moins précieuse), ne tient pas à braquer l'Église contre lui. Il promet donc la restitution du vase dès que le partage du butin des pillages sera effectué, à Soissons.
Récupérer le vase n'est en fait pas chose aussi simple qu'il n'y parait. Le jour du partage du butin c'est un peu comme le jour de paye. La règle est stricte, chaque guerrier a droit à sa part, chaque part est tirée au sort, aussi intervenir lors de la répartition des biens peut être peu apprécié par des hommes aux manières parfois primaires.
Le jour de la répartition, le roi Franc demande avec civilité à ce que le vase lui soit accordé hors part. Cette demande, si elle n'est pas exorbitante est tout de même maladroite. Il veut rendre le précieux calice à l'Église sans pour autant amputer sa part de gains. Peut-être faut-il considérer qu'il restitue l'objet sacré au nom du peuple Franc et que par conséquent c'est un prélèvement effectué sur la part de tous. Mais il ne dit rien de cela.
N'acceptant pas le passe droit que s'octroie Clovis, un guerrier s'approche du vase et le frappe d'un geste rageur en hurlant : «Tu n'auras rien de plus que ce que le sort t'octroiera !»
L'affront est immense mais le roi se contient. Il se tait et ramasse le précieux objet qui plus tard sera réparé par un habile orfèvre puis restitué à l'Église. Ce guerrier était dans son droit, c'est Clovis fais du vase de Soissons qui voulait transgresser la règle, et si le roi ne respecte pas les usages, qui le fera ?
L'année suivante, le 1er mars 487 précisément, Clovis réunit son armée pour la traditionnelle revue annuelle. L'armée franque est certes une armée barbare, mais c'est d'abord un corps d'élite de l'armée romaine. Sur de nombreuses sépultures ont a d'ailleurs trouvé l'épitaphe : "Citoyen Franc et soldat romain". Les Francs en sont fières et pour s'en monter digne, rigueur et discipline sont exigées.
Alors qu'il passe lentement en revue ses troupes, Clovis s'arrête face à un homme dont l'entretient des armes laisse à désirer. Il le fixe droit dans les yeux; c'est l'homme qui s'est opposé à lui à Soissons.
«Personne n'a des armes aussi mal tenues que les tiennes. Ta lance n'est pas en bon état... Ni ton épée... Ni ta hache...»
Clovis lui arrache cette dernière de la ceinture et la jette à terre. Le soldat se penche alors pour la ramasser, alors son chef se saisit de la sienne et lui porte un terrible coup sur la tête :
«Ainsi as-tu fais à Soissons avec le vase». Puis le roi ordonne aux autres de s'éloigner, laissant le cadavre exposé au public, probablement sans sépulture.
Cet épisode est extrêmement intéressant. Tout roi qu'il était, Clovis n'avait pu s'opposer àla volonté d'un soldat, dès lors qu'il ne demandait que l'application de la coutume. Toutefois, dans un autre contexte, celui militaire, il a le droit de vie et de mort sur ses soldats. Il a donc parfaitement le droit, et même le devoir de châtier un soldat dont la conduite est répréhensible. Le roi barbare vient de monter à tous qu'il était préférable d'être à ses côtés plutôt que face à lui.
Le roi païen
Spirituellement, Clovis se fie aux croyances de ses ancêtres. Sa vie c'est la guerre, la conquête militaire, et pour lui, toute réussite, toute gloire, toute victoire procède des seigneurs qui règnent dans le palais du Walhalla. Ses divinités sont viriles, combatives, triomphantes, cruelles. Il veut bien écouter les conseils de Rémi, l'évêque de Reims, mais croire en son charpentier juif qui a fini cloué sur une croix entre deux bandits, pas question !
Les catholiques, il les aime bien, mais en vérité ce qui le préoccupe par dessus tout, c'est son intérêt personnel. Et c'est donc sans états d'âmes qu'il accorde la main de sa sœur Aldoflède à Théodoric de Ravenne, le roi Ostrogoth et hérétique.
Wotan
Clotilde
La première épouse de Clovis, la mère de Thierry, étant morte, l'entourage du roi étudie la question avec application. On lui parle (Rémi probablement) d'une jeune et ravissante princesse burgonde, Clotilde[1], dont le cœur serait à prendre.
Une jolie princesse burgonde, voilà qui pourrait être avantageux diplomatiquement. Un problème se pose toutefois : la jeune fille élevée par sa grand-mère maternelle dans un monastère est une fervente catholique. Si elle rejette l'arianisme pratiqué à la cour de son oncle à Genève, est-ce l'épouse qu'il faut à un roi polythéiste ?
Tout de même, à bien y réfléchir, épouser une catholique pourrait être une excellente façon de se rapprocher de l'Église sans se compromettre. De plus, tous ceux qui l'ont rencontré sont formels : elle est charmante !
Et en 492, à l'église sainte Sophie de la Trinité à Soissons, Clovis, fils de Childéric, épouse Clotilde fille de Chilpéric. La nouvelle reine n'a posé qu'une condition : les enfants qui naîtront de leur union seront baptisés dans la religion de leur mère.
De cette union naîtra bientôt Ingomer. Mais l'époque est rude, un enfant sur deux ne survit pas à ses premiers mois. Parmi ceux qui passent le cap, une autre moitié ne fêtera jamais son cinquième anniversaire. Pour quatre naissances, trois décès en moyenne, un seul nouveau né peut arriver à l'âge adulte.
Et à peine baptisé, Ingomer tombe malade et succombe. Le chagrin est immense pour sa mère, la colère l'emporte chez sa mère. Si l'enfant est mort, c'est parce que le dieu de Clotilde est faible !
Le temps passe, le chagrin s'estompe. Le petit est auprès du Seigneur; Clotilde le sait et l'a dit à son époux. Celui-ci n'en est pas convaincu mais l'amour qu'il porte à la reine a apaisé sa colère. Et en 495, naît Clodomir.
Clotilde, dont l'influence grandit auprès de son mari, obtient de celui-ci son accord pour faire baptiser le nouveau prince, qui à son tour... tombe malade.
Cette fois cela ne fait aucun doute : Wotan et les autres dieu punissent le roi Franc pour sa trahison au culte de ses ancêtres.
De son côté, Clotilde ne veut perdre espoir. Jour et nuit, elle prie au côté de son fils.
Pour Clovis, cela ne sert à rien ! L'enfant mourra, comme l'autre. Comment pourrait-il en être autrement ?!
Mais les supplications de la reine sont entendues et Clodomir se remet totalement.
Le roi est heureux et ne sait finalement qui remercier. Clotilde va le lui expliquer, lentement, patiement, quotidiennement.
Puis naîtront Childebert, Clotaire et Clotilde.
Après avoir triomphé de Syagrius à Nogent, Clovis a étendu son royaume. Toutefois il connait un petit revers à Lutèce où Geneviève refuse d'ouvrir les portes de la ville à un païen. Le roi Franc pourrait donner l'assaut à la ville, mais il aime trop Lutèce pour y mener des combats qui ne manqueraient pas d'endomager la ville dont il veut faire sa capitale. De plus, il a trop de respect pour celle qui tint tête à Atilla. Alors, il organise un blocus de la ville, sans grand succès puisque la sainte patrone de la ville organise le ravitaillement de celle-ci par voie fluviale.
Le serment de Tolbiac
En 496, les Alamans, une communauté de guerriers germaniques, ont conclu un pacte avec les Burgondes. Ils se montrent de plus en plus menaçant vis à vis du royaume de Cologne, des Francs Rhénans. Devant l'importante menace, Siegebert, le roi Rhénan, fait appel à son allié Clovis.
Le peuple Rhénan dont la première épouse de Clovisétait issue, étant l'allié des Saliens, ce dernier réuni ses armées et vient à la rescousse de Siegebert, vaincu et blessé à Tulpiacum (Tolbiac).
La bataille a lieu non loin de là, dans une plaine. C'est un choc de fantassin, violent, brutal, obstiné. Seuls les rois, comme le veut la tradition, sont montés sur un destrier, blanc, ce qui leur permet d'être reconnaissables de loin. Les Alamans, plus nombreux prennent bientôt le dessus sur les Francs. Le Rex Francorum, invoque Wotan et tous les preux du Walhalla. Sans résultat. Sans doute les walkyries ont-elles décidé que l'heure était venue pour Chlodowig d'aller les rejoindre.
Mourir en combattant, voila un grand honneur, à condition de tomber en vainqueur. Mais la situation dégénère et la bataille semble perdue.
À ses côtés, Aurélien l'ami de toujours, Aurélien le catholique se signe, et d'autres hommes l'imitent. Au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit, ainsi soit-il.
Mille choses traversent l'esprit de Clovis : Que pensera le peuple de son roi vaincu ? Qu'adviendra t-il de ses enfants, de son épouse ?
Clovis descend alors de son cheval, puis s'agenouille : «O Jésus-Christ. Je T'invoque ! C'est en Toi que je veux croire pourvu que Tu m'arraches à mes adversaires ! Dieu de Clotilde, si Tu me donnes la victoire sur mes ennemis, je me ferai chrétien !»
Ary Scheffer - La bataille de Tolbiac - (1837)
Clovis remonte en selle, il voit le prince alaman qui progresse dans sa direction, triomphant. Autour de Clovis, les cadavres des Fédérés francs et Gallo-Romains couvrent le sol. C'est un désastre.
Soudain un cri de stupeur monte des lignes ennemies. Le chef alaman vient de s'écrouler, touché mortellement.
Il faut immédiatement profiter du moment de trouble que cause la mort du chef au sein des troupes alamanes. Clovis et ses guerriers se ruent à l'attaque. En face, c'est la panique, totalement désorganisés, désemparés, les alamans fuient ou se rendent.
La victoire, parce que miraculeuse, est magnifique. Les Francs sont passés du désespoir au triomphe. Clovis s'est vu vaincu, déchu, humilié, le voila grand, admiré, comblé. Et cela, il le doit non pas aux dieux de ses ancêtres mais à ceux de son épouse.
En invoquant le dieu des chrétiens, Clovis a fait un pas vers Lui. En lui accordant la victoire, le Chrtist lui tend la main. Clovis, homme de parole, homme d'honneur, a fait une promesse, il l'a tiendra. La prochaine étape sera donc le baptême.
[1] http://dossierstorique.over-blog.com/article-clotilde-reine-des-francs-39258020.html