Jean des Cars, écrivain, conférencier, historien populaire, fils de Guy des Cars a publié plus de vingt-cinq ouvrages dont quelques best-sellers comme Sissi, Les Secrets de Mayerling, et Louis II de Bavière. Il vient récement de publier chez Plon, La Véritable Histoire des châteaux de la Loire, ouvrage remarquable.
L'ignorance et la désinformation amènent de nombreuses personnes à croire ou à dire des bétises. "La Gioconda è nostra" entend-on en Italie, pourtant ce tableau fût amené en France par Léonard de Vinci lui-même et ne le quitta jamais jusqu'à sa mort à Amboise le 2 mai 1519. D'autres thèmes sont sujets à approximations, voire déformations historiques. Voyant se multiplier des revendications injustifiées, Jean des Cars lance un appel :
Halte à la déformation !
De tous les crimes intellectuels dont les peuples sont capables, l’effacement de la mémoire est certainement le pire. Or, nous sommes actuellement – mais le mal couve depuis des décennies – menacés par un gigantesque et systématique lavage de cerveau : on efface le passé, on déforme les faits, on maquille les événements et on supprime la chronologie. Dernier avatar en date (mais pas l’ultime, on peut le redouter…), la demande de restitution de la fameuse pierre de Rosette à l’Egypte.
Revenant de ce pays que j’aime, où j’ai animé un nouveau périple sur le thème – oublié lui aussi ! – du 140e anniversaire de l’inauguration du canal de Suez, j’ai retraversé l’Egypte d’Ismaïlia à Abou Simbel. Comme on le sait, la véritable pierre de Rosette, trouvée par un soldat de l’expédition de Bonaparte, a été prise par les Anglais en 1802 mais, heureusement, le Louvre en possède une copie faite par les scientifiques accompagnant l’expédition. Donc, la pierre de Rosette, la vraie, est une des fiertés du British Museum.
Si on devait la restituer à un Etat, je dirais que c’est la France qui la mériterait puisque c’est un de ses soldats qui l’a dénichée. J’entends d’ici les hurlements des bonnes consciences et des donneurs de leçons ! Or, faut-il rappeler, au seul nom de l’évidence, que l’Egypte que nous connaissons, aimons et visitons avec éblouissement, longtemps vassale de l’Empire ottoman, n’a ethniquement, presque rien à voir avec celle des dynasties pharaoniques si ce n’est sa population copte. Plus délicat : aucune tombe, aucun trésor, n’a été, jusqu’ici, découvert par un Egyptien et on peut concevoir, en le regrettant, une certaine déception des autorités et des égyptologues égyptiens. Ce n’est de la faute de personne.
Enfin, qu’on me permette de redire que sans l’expédition d’Egypte (approuvée par le Directoire soulagé de pouvoir éloigner Bonaparte !), la science égyptologique n’aurait sans doute pas connu, au début du XIXe siècle, l’engouement qu’elle ne cesse, depuis, de susciter. Jamais une armée de conquérants n’avait été accompagnée d’un tel aréopage de scientifiques, mathématiciens et géographes, architectes et naturalistes, entre autres, qui fondèrent l’Institut d’Egypte. Et cette campagne a permis que l’égyptologie devienne une passion française. Ce coup de coeur dure depuis plus de deux siècles. De Vivant Denon à Champollion, de Christiane Desroches-Noblecourt à Jean-Philippe Lauer et Jean Leclant, que de dévouements, de recherches, de compétences et d’abnégations pour arracher aux sables une mémoire oubliée et sauver ce qui allait disparaître. Ne laissons pas agir comme l’on fait ceux qui, voilà des siècles, ont effacé le règne d’Akhénaton, coupable d’hérésie. Si l’obélisque de Louqsor est à Paris, c’est parce que c’est un cadeau de Méhémet Ali (c’est-à-dire de l’Egypte
musulmane au Roi des Français Louis-Philippe), érigé place de la Concorde en 1836. Or, on oublie souvent ou on ignore que Méhémet Ali a, en réalité, offert à la France les deux obélisques de Louqsor. Pour diverses raisons, seul l’un de ces magnifiques monolithes a été expédié en France. Que se passerait-il si nous demandions que le second obélisque nous soit livré puisque, juridiquement, il nous appartient ?
Pour les Français, l’Egypte est une seconde patrie artistique. Ils ont beaucoup donné pour ce pays. Arrêtons de refaire l’Histoire, caricaturée, déformée. Arrêtons de nous repentir, de demander pardon, de nous excuser d’avoir eu du courage, du talent et, parfois, un peu de chance. La mémoire égyptienne, j’ose l’écrire, fait partie
de la nôtre et ses merveilles appartiennent au patrimoine mondial. Les Européens, enthousiastes, ont énormément contribué à faire revivre l’admirable civilisation pharaonique. Ne les privons pas de ce mérite.
Jean des Cars