ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE
CHAPITRE VI - LES GENTILES
Différence entre les Læti et les Gentiles : les Gentiles étaient des Sarmates et non des Francs.
Quelles sont les raisons qui s’opposent à une assimilation complète des Læti avec les Gentiles de la Notitia ? D’abord ils tiennent une place distincte dans l’énumération des préfectures désignées sous le titre commun de préfectures des Læti et des Gentiles ; ensuite il est certain que cette différence de nom correspond à une différence sinon de condition, du moins de race*. Les Læti, nous l’avons démontré, se composaient exclusivement de Germains et, parmi les Germains, des peuples les plus rapprochés de la Gaule, des Bataves et des Francs. Les Gentiles comprenaient les peuples d’origine scythique c’est-à-dire, dans le sens que l’antiquité attachait à ce mot, les Sarmates, les Suèves, les Taïfales, les Quades, les Iazyges, même les Goths, tous ces colons barbares issus de nations plus éloignées de Rome, mêlées plus tard à la lutte et moins connues du monde romain, ce qui explique la dénomination plus générale qui leur fut conservée après leur admission dans l’Empire. Les Sarmates formaient un de ces groupes de nations orientales que l’antiquité, dont les connaissances géographiques étaient nécessairement plus bornées que les nôtres, appelait d’un nom générique emprunté soit à la tradition, soit à la prépondérance momentanée de tel ou tel élément[10].
Les Suèves et les Sarmates, depuis une époque reculée, ne faisaient, pour ainsi dire, qu’un seul et même peuple ; ils n’avaient jamais cessé d’être unis par les liens d’une étroite amitié. Tacite[11] nous raconte dans ses Annales que Vannius, donné pour roi aux Suèves par Drusus César, vers le milieu du Ier siècle de l’ère chrétienne, recrutait sa cavalerie parmi les Sarmates Iazyges, dans la Hongrie actuelle qui fournit encore aujourd’hui les meilleurs cavaliers. La plupart des préfectures des Gentiles, mentionnées dans la Notitia, le sont sous la désignation de Sarmatorum Gentilium ; les autres sous celles de Gentilium Suevorum ou de Gentilium Taifalorum, aucune sous celle de Lœtorum Gentilium[12] car les Læti Gentiles Suevi, invoqués par Rambach, d’après l’édition de Pancirole, n’ont jamais existé : c’est une altération évidente du texte primitif, une lacune signalée et reconnue par Böcking[13].
Le terme de Læti, emprunté par les Romains aux Germains, n’était pas connu des Sarmates chez lesquels on ne comptait que des hommes libres et des esclaves, sans la classe intermédiaire des Læti. Hérodote, au quatrième livre de son histoire des guerres médiques, dans l’énumération rapide mais si exacte, qu’il fait des peuples anciens, n’oublie point les Scythes d’où sont sortis les Sarmates ; il les divise, en trois classes : les laboureurs, les cultivateurs, les nomades division qui du reste marque plutôt la variété des professions que l’état des personnes[14]. Strabon l’a reproduite plus tard dans sa géographie[15]. Les esclaves eux-mêmes n’étaient pas chez les Scythes, comme chez les Germains, vendus à prix d’argent, mais désignés par la volonté du roi[16].
On ne fit qu’appliquer aux Sarmates, en lès colonisant dans les provinces occidentales ou méridionales, le système inauguré pour les Læti et dont on espérait les meilleurs effets. Il convenait de n’exciter aucune jalousie, aucun mécontentement entre ces soldats étrangers appartenant à des races diverses, mais placés à coté les uns des autres pour combattre sous le même drapeau et servir la même cause[17]. Malgré l’infériorité primitive de leur origine et la servitude dans laquelle ils avaient vécu pour la plupart au-delà du Rhin et du Danube, tandis que les Læti se recrutaient généralement parmi les hommes libres, on leur accorda les mêmes avantages afin de provoquer de leur part une généreuse émulation et de mieux s’assurer de leur dévouement. Il est vrai qu’ils occupaient le dernier rang de la milice ; ils sont toujours mentionnés après les Læti[18], soit dans la Notitia, soit dans le Code Théodosien où la loi sur les déserteurs s’applique aux Sarmates, c’est-à-dire aux Gentiles, comme aux Læti (Lœtus, Alamannus, Sarmata), comme à tous ceux qui par leur naissance étaient tenus de se faire soldats (quos militiæ origo assignabat)[19]. Les Suèves dont il est ici question, et qui devaient plus tard franchir les Pyrénées pour aller s’établir en Espagne avec les Alains, les Wisigoths et les Vandales[20], étaient ceux de la Dacie, dont le nom se trouve mêlé indifféremment à celui des Quades, des Juthungues, fixés dans les marécages du Danube et de la Theiss. Les Taïfales, qu’Ammien nous représente comme une nation tout à fait sauvage par la dépravation de ses mœurs[21], étaient aussi, d’après le témoignage de Zozime[22], un peuple d’origine scythique, mais qui se distinguait des peuples gothiques, tels que les Carpes, les Bastarnes, les Gépides, ligués ensemble contre Rome[23]. Tels étaient les peuples appelés à prendre part à la défense de l’Empire sous le titre commun de Gentiles.
* s'il ne fait aucun doute que tous les hommes font partis de la même espèce, certaines personnes ont des problèmes avec les races. François Hollande s'est donc engagé à ôter le mot race de la Constitution française et une proposition de loi visant à le supprimer de notre législation a été adoptée en première lecture, le 16 mai 2013, par l'Assemblée nationale. Parler de races aujourd'hui c'est donc être raciste. Heureusement, le livre d'Eugène Léotard à été écrit en 1873, époque ou l'on ne cherchait pas à faire oublier aux hommes leurs racines, leur histoire, leurs différences...
[10] Böcking, II, De Gentilibus, p. 1082.
[11] Tacite, Ann., lib. XII, c XXIX.
[12] Böcking, II, p. 119-122.
[13] Böcking, II, p. 119-122.
[14] Hérodote, lib. IV, c. XVII, XVIII et XIX.
[15] Strabon, lib. XI.
[16] Hérodote, lib. IV, c. LXXII.
[17] Böcking, De Gentilibus, p. 1086.
[18] Böcking, De Gentilibus, p. 1086.
[19] Cod. Théod., VII, tit. 20, loi 12.
[20] Böcking, De Gentilibus, p. 1084.
[21] Ammien, lib. XXXI, c. IX.
[22] Zosime, lib. II, c. XXXI.
[23] Opitz, p. 28-29.