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12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 07:08

ESSAI SUR LA CONDITION DES BARBARES ÉTABLIS DANS L'EMPIRE ROMAIN AU IVè SIÈCLE

 

Chapitre I - Les Invasions.

 

Les Huns.

 

La seconde moitié du IVe siècle vit se produire dans la Germanie un de ces immenses bouleversements qui ne manquaient jamais d’avoir leur contrecoup sur le monde romain. La nation des Huns, dont la sauvage férocité est devenue proverbiale, fit alors sa première apparition en Europe. Elle n’appartenait plus aux races germaniques, mais à la grande famille des Tartares destinée à couvrir non seulement toute l’Asie et l’Orient, mais une partie du monde européen[65]. Leurs migrations, selon la remarque de Gibbon[66], se trouvent liées à l’histoire des révolutions mêmes de la Chine dont les annales peuvent aider à découvrir les causes secrètes et éloignées qui entraînèrent la chute de l’Empire romain. Les Huns n’étaient pas les premiers Tartares qui eussent franchi la limite de l’Europe et de l’Asie, ils avaient été précédés par les Alains, peuples de même race, bien que d’une civilisation plus avancée[67]. Nous trouvons dès le IIIe siècle les Alains établis sur les bords du Palus-Méotide et du Bosphore Cimmérien ; ils s’étaient répandus en peu de temps dans les provinces du Pont, de la Cappadoce, de la Cilicie et de la Galatie. Arrien, gouverneur de la Bithynie, auteur d’une histoire de l’expédition d’Alexandre le Grand et d’un périple de la mer Noire, avait déjà combattu les Mains et composé contre eux un livre de stratégie intitulé : τά τακτικά. Ils ne cessèrent dès lors d’occuper les pays voisins du Caucase, et pénétrèrent jusqu’aux confins de l’Arménie et de la Médie[68]. Les Alains étaient, comme les Huns, des peuples essentiellement nomades. Leur principale force consistait dans la cavalerie ; ils passaient leur vie à cheval, faisant, ainsi que les Arabes, de leur coursier le compagnon inséparable de leur existence et leur meilleur ami. Ce caractère du reste est commun à tous les Tartares, et le nom générique des langues tartares ou touraniennes, est emprunté au mot toura qui signifie la queue du cheval. Ammien Marcellin[69], Jornandès[70], Zosime[71], tous les historiens gréco-romains du Bas-Empire nous ont laissé un portrait de ces nouveaux Barbares dont les moeurs, les usages, le type même de figure n’avaient rien d’humain et à qui la tradition attribuait une origine légendaire. L’impression produite autrefois sur les Romains par les féroces habitants de la Germanie se trouva dépassée ; l’imagination populaire, prompte à se frapper, ne manquait pas de grossir encore la réalité ; la superstition s’empara de ces terribles images, de ces récits fantastiques, pour semer l’effroi. Les bruits les plus sinistres circulèrent ; le vague pressentiment d’un grand désastre, d’une ruine prochaine, se répandit dans l’Orient ; les vieilles prophéties, annonçant que l’empire du monde devait passer à d’autres nations, furent considérées comme à la veille d’avoir leur accomplissement[72].

 

Le trente et unième livre d’Ammien Marcellin s’ouvre par l’énumération des funestesHun3.jpg présages qui accompagnèrent l’arrivée des Huns. En démolissant les vieux murs de Chalcédoine pour les employer comme matériaux à la construction des nouveaux thermes de Constantinople, on trouva dans ces fondations une pierre carrée sur laquelle étaient gravés huit vers grecs. L’inscription prédisait l’usage qu’on ferait un jour du rempart et la coïncidence de cet usage avec la venue de hordes guerrières innombrables qui franchiraient le Danube, ravageraient la Scythie, la Mésie, et se rueraient jusque sur la Pannonie[73].

 

Les Huns, en effet, brisèrent toutes les résistances qu’ils purent rencontrer, broyèrent sur leur passage peuples, nations et empires. Les Alains, qui eux-mêmes s’étaient adjoint par la conquête depuis leur établissement en Europe une partie des nations voisines, les Neures, les Budins, les Gélons, les Agathyrses, les Mélanchlènes, les Anthropophages, aussi sauvages que leurs vainqueurs, furent les premiers à subir le choc[74] ; leur communauté d’origine et de race avec les Huns rendit leur soumission plus prompte et plus facile ; la majeure partie d’entre eux, après une sanglante défaite sur les bords du Don ou Tanaïs accepta les conditions qui lui étaient offertes et suivit les envahisseurs dans leur marche contre l’Occident ; d’autres, jaloux de conserver leur indépendance, se retirèrent dans la Germanie d’où il devaient plus tard passer dans les Gaules ; d’autres enfin se réfugièrent dans les montagnes du Caucase où on les retrouve encore avec leur ancien nom[75]. Après les Alains, les Goths, leurs voisins, se virent menacés et attaqués. C’était une époque déjà florissante de leur histoire[76]. Ils avaient alors pour roi Hermanrich, le plus illustre des Amales, nous dit Jornandès, qui mérita par ses exploits, par ses victoires et ses conquêtes, d’être comparé au grand Alexandre[77]. Parmi les nations soumises à son empire, on comptait les Scythes, les Thuides, les Vasinabronces, les Mérens, les Mordensimnes, les Cares, les Roces, les Tadzans, les Athuals, les Navegos, les Bubegantes, les Coldes, les Érules, les Vénètes, les Æstiens, tous compris dans les vastes plaines qui s’étendent au nord du Danube et de la mer Noire[78], et dont la plupart avaient des noms à peine connus des Romains ou défigurés pas leurs historiens.

 

Les Goths, moins barbares que les autres Germains, cultivaient les arts de la paix, se livraient aux travaux de l’agriculture, avaient su défricher une partie des vastes territoires conquis par eux et autrefois déserts ; leur langage, comme leur esprit, se perfectionnait au contact des Romains et des Grecs avec lesquels ils se trouvaient depuis plus d’un siècle en perpétuelles relations de commerce ; les missionnaires avaient pénétré dans leur pays pour y prêcher l’Évangile et venaient de les convertir au christianisme ; ils avaient même un commencement de littérature nationale qui consistait dans un recueil de vieilles traditions chantées ou écrites en caractères runiques[79]. Ce degré de civilisation où ils étaient parvenus, ne les préserva point du fléau destructeur. Ils subirent plusieurs défaites, virent incendier leurs riches villages ainsi que leurs moissons ; les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards furent massacrés sans pitié[80]. L’apparition des Huns sur le Borysthène (Dniepr) et la mort d’Hermanrich provoquèrent un soulèvement général : les nations étrangères, annexées à son empire, profitèrent de l’occasion pour secouer le joug d’une domination imposée par la force ; l’empire des Goths, comme tous les empires barbares, uniquement fondés sur la conquête, formés des éléments les plus hétérogènes, fut aussi prompt à se dissoudre qu’il l’avait été à s’élever[81]. Les Goths, refoulés par les Huns, durent se replier au-delà du Danube sur le territoire romain, où, reçus d’abord en qualité de suppliants et d’alliés, ils devinrent bientôt les plus redoutables ennemis de Rome. C’était la quatrième fois depuis Auguste qu’elle voyait se presser sur ses frontières toute la Barbarie coalisée contre elle ; attaquée de toutes parts, elle devait faire face en même temps, à l’occident et au nord, aux Allamans, aux Saxons, aux Scots ; au midi, aux Austoriens et aux Maures de l’Afrique ; en Orient, aux Sarmates, aux Quades, aux Goths et aux Perses[82].

 

Les Huns ne s’arrêtèrent pas là. Après avoir chassé devant eux les populationsHun5.jpg européennes du Nord et de l’Est, bouleversé la plus grande partie de la Germanie, ils se trouvèrent en face des Romains et attaquèrent l’empire d’Orient. Attila, leur chef, le fondateur de cette immense monarchie qui couvrait la moitié de l’Europe et un tiers de l’Asie, voulut ajouter à ses vastes possessions les riches provinces de l’Empire ; il conduisit ses hordes jusque sous les murs de Constantinople ; mais cette ville, admirablement choisie par sa position pour relier deux continents, devait être pendant plus de mille ans le boulevard de l’Orient contre les invasions[83]. Attila, impuissant à franchir cette barrière qui avait déjà arrêté les Goths soixante ans auparavant[84], promena ses étendards victorieux à travers l’Illyrie, la Gaule et l’Italie.

 

La grande invasion de 406, conduite par Radagaise, et formée de trois grands corps d’armée qui débordèrent en même temps sur l’Italie et la Gaule, après avoir franchi les Alpes et le Rhin, n’était elle-même que l’ébranlement des populations germaniques chassées par les Huns et contraintes de venir chercher une nouvelle patrie qu’elles ne devaient plus quitter cette fois, parce que l’occupation reposa sur une véritable conquête[85].

 

[65] Ammien, l. XXXI, c. II.  [66] Gibbon, t. V, c. XXX.  [67] Ammien, l. XXXI, c. II.  [68] Ammien, loc. laud. supra.

[69] Ammien, loc. laud. supra.  [70] Jornandès, De Reb. Get., c. VIII.  [71] Zosime, l. IV, c. XX.  [72] Ammien, l. XXXI, c. I.

[73] Ammien, l. XXXI, c. I.  [74] Ammien, l. XXXI, c. II.  [75] Sismondi, t. I, p. 149.  [76] Jornandès, De Reb. Get., c. VII.

[77] Jornandès, De Reb. Get., c. VII.  [78] Jornandès, De Reb. Get., c. VII.  [79] Sismondi, t, I, p. 150-152.

[80] Ammien, l. XXXI, c. III.  [81] Ammien, l. XXXI, c. III et IV.  [82] Ammien, l. XXVI c. IV.

[83] Gibbon, t. VII. Observations sur la chute de l’Empire romain en Occident.  [84] Ammien, l. XXX, c. XVI.

[85] Sismondi, t. I, p. 194-195.

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