Vercingétorix
Chapitre XIX - Soumission de la Gaule et mort de Vercingétorix.
1. César se réconcilie avec les Éduens et les Arvernes.
Vercingétorix aux mains de César, les destinées de la Gaule s’accomplirent rapidement. Il ne restait au proconsul qu’à ramener à lui ses anciens amis, et à punir les obstinés.
Il bénéficia d’abord de nombreuses défections. Si la Gaule ne connut pas alors la trahison brutale, celle qui livre à l’ennemi le corps du chef, elle vit celle qui désavoue l’allié vaincu, qui renie ses sentiments et ses espérances.
Après Vercingétorix, les autres chefs assiégés se donnèrent à leur tour, les armes furent apportées, et César opéra la mainmise du vainqueur sur tous les hommes et sur toutes les choses qui se trouvaient dans Alésia.
Il avait accepté, sans le dire peut-être expressément, que Vercingétorix servit de victime expiatoire aux deux principales nations. Car il se hâta de faire un triage parmi ses prisonniers : il réserva le sort des Arvernes et des Éduens, hommes et chefs, au nombre d’environ 20.000. Le reste des vaincus furent distribués comme esclaves entre les soldats de toute l’armée : le moindre combattant put avoir son captif.
Les Éduens et les Arvernes étaient prêts à tout pour recouvrer la liberté et quelque chose de plus. Par leur intermédiaire, César n’eut pas de peine à s’entendre avec leurs compatriotes de Gergovie et de Bibracte. Il se rendit chez les Éduens, il y reçut l’hommage public de leur peuple, il y accueillit les députés arvernes, qui se mirent à sa merci : j’imagine qu’Épathnact, le très grand ami du peuple romain, était parmi ces derniers. Aux uns et aux autres il restitua leurs concitoyens pris dans les combats et lors de la reddition d’Alésia, renonçant à exercer sur eux et sur leur nation les droits de la victoire. Lui-même s’établit au Mont Beuvray, quartier général, pendant l’été, de la Gaule soulevée, et pendant l’hiver, de César vainqueur. À Rome, on remercia les dieux par vingt jours d’actions de grâces.
Les deux nations qui avaient dirigé la lutte se retrouvèrent dans la même situation politique qu’il y avait un an. Les Éduens redevinrent les alliés du peuple romain, et recouvrèrent leur clientèle et leur autorité dans la Gaule : César les inscrira à nouveau parmi les cités fédérées de l’Empire, à côté des Rèmes et des Lingons. Il déclarera les Arvernes une cité libre, il ne toucha pas à son épée, consacrée aux dieux gaulois dans un de leurs temples, et les anciens sujets ou rivaux de Vercingétorix purent se croire deux fois autonomes, parce qu’ils ne devaient ni l’obéissance à un roi ni le tribut au peuple romain.
Mais cette alliance entre Éduens et Romains, cette liberté des Arvernes étaient, l’année précédente, sinon réelles, du moins encore apparentes. Désormais, elles ne seront même pas précaires, et ces mots ne valent plus que comme les formules les plus élégantes de l’incorporation à l’empire.
2. Organisation de la résistance par les chefs patriotes.
À l’honneur de la Gaule, ce double exemple ne fut pas suivi par la majorité des tribus. Les survivants des amis de Vercingétorix étaient décidés à tenir encore. De nouveaux pourparlers s’engagèrent entre les chefs et entre les cités.
On répétait de plus en plus que César arriverait dans quelques mois au terme de son commandement ; et, si les vaincus avouaient que toute lutte d’ensemble ne pouvait finir que par l’écrasement de la Gaule, ils espéraient encore venir à bout de leur adversaire en le forçant à disséminer ses légions : qu’on lève partout des armées, qu’on suscite la guerre sur tous les points, qu’on allume des incendies de toutes parts, et le proconsul, affamé et éperdu dans un pays saccagé, n’aura ni le temps, ni les troupes, ni les vivres nécessaires pour réduire à l’impuissance un ennemi insaisissable. Qu’il ne fût pas dit que la Gaule eût manqué de constance avant d’avoir manqué d’hommes.
C’était le meilleur des plans de Vercingétorix que reprenaient ses anciens auxiliaires : le Cadurque Lucter, le Sénon Drappès, l’Aude Dumuac, Gutuatr le Carnute, Sur l’Éduen, Comm l’Atrébate, sans parler du chef des Bellovaques Correus et de l’Eburon Ambiorix, toujours vivant.
Quatre groupes de combattants se dessinèrent dans le cours de l’hiver.
Au Nord, dans le bassin de Paris, les Bellovaques, sur l’ordre de Correus, se levèrent en masse, et furent rejoints par les Ambiens, les Atrébates, les Calètes, les Véliocasses et les Aulerques : Belges et Celtes fraternisèrent. Comm apporta à cette armée l’appui de son expérience, et se chargea notamment de lui assurer quelques auxiliaires germains pour tenir tète à ceux de César. — Au Nord-Est, les Trévires, chez qui Sur s’était réfugié, firent leur paix avec les Germains, et acceptèrent leur concours : peu importait aux Transrhénans de combattre tour à tour les Romains et les Gaulois. De ce côté, Ambiorix avait encore reparu. — Au Centre, Dumnac assiégeait Poitiers, toujours fidèle aux Romains. Il avait une assez nombreuse armée, et se sentait soutenu par les Carnutes, les Bituriges et les peuples de l’Armorique. — Au Sud enfin, Lucter et Drappès organisaient la résistance dans les régions du Limousin et du Quercy, ce qui n’était pas sans danger pour la province romaine elle-même.
Les huit chefs que nous venons de citer, donnèrent, par leur persévérance, un démenti au jugement que César avait porté sur les Gaulois, et que d’ailleurs Alésia avait confirmé : Toujours prêt à entrer gaiement en campagne, ce peuple faiblit dès qu’il s’agit de résister au malheur. Ceux-là du moins, quoique appartenant aux nations les plus diverses, surent imiter Vercingétorix, et demeurer fidèles à leur cause jusqu’à la prison ou à la mort.
3. Campagnes de 51. Destinées des différents chefs.
Mais leur plan échoua. D’abord parce que les cités, comme les Bituriges avant le siège d’Avaricum, ne firent pas les sacrifices nécessaires. Ensuite parce que César ne donna pas aux chefs le temps de se concerter : débarrassé de Vercingétorix, il redevint ce « prodige de célérité » qu’admirait Cicéron.
Il rentra en campagne trois mois après la chute d’Alésia, le 25 décembre 52. Deux incursions rapides chez les Bituriges et les Carnutes décidèrent ceux-là à se soumettre, ceux-ci à se disperser. Gutuatr ne fut pas pris, mais César laissa deux légions à Génabum, et les conjurés du Centre et du Sud, Dumnac, Drappès et Lucter, furent séparés de Comm et de la ligue bellovaque.
César se tourna alors contre ces derniers. Comm, Correus et leurs alliés firent tout ce qui était humainement possible pour n’être point vaincus. Ils suivirent les leçons de Vercingétorix, ils rompirent avec toutes les habitudes de la témérité barbare, choisissant pour leurs camps des positions imprenables, essayant d’affamer leur adversaire, fuyant les grandes batailles, évitant d’être bloqués, recourant même à d’assez bons stratagèmes. Mais à la fin le proconsul put les contraindre à combattre, c’est-à-dire à se faire vaincre, et Correus, ne voulant pas se livrer, s’arrangea de manière à se faire tuer. Comm échappa, ainsi que toujours, et il recula vers le Nord avec ses cavaliers, essayant peut-être de donner la main aux combattants de la Meuse et de la Moselle.
Ceux-ci eurent affaire tour à tour à César et à Labienus. Le premier brûla et pilla une fois de plus le pays éburon : mais Ambiorix fut introuvable. Labienus, plus heureux que son proconsul, battit sérieusement les Trévires et les Germains, et s’empara des chefs, y compris Sur l’Éduen. Les rangs des patriotes s’éclaircissaient rapidement.
Les combats furent aussi nombreux et aussi graves au centre et au sud de la Gaule, où commandaient deux légats de César. Celui de la Loire, le méthodique C. Fabius, procéda avec ordre. Il eut raison des troupes de Dumnac, dans une bataille, montra les légions romaines une fois encore aux Carnutes, et reçut la soumission de l’Armorique. Mais lui aussi ne put saisir son principal adversaire : Dumnac s’enfuit très loin, et disparut au Nord-Ouest vers la fin des terres gauloises.
C. Caninius Rébilus, dans la vallée de la Dordogne, eut en face de lui les deux plus aventureux compagnons d’armes de Vercingétorix, Drappès et Lucter. Ils avaient réuni à eux les bandes fugitives, conçu l’audacieux projet de prendre l’offensive dans la Narbonnaise même, et d’y faire cette guerre de pillages et de vengeances que Vercingétorix avait tenté deux fois d’y soulever. Rébilus parvint à les entraver ; ils gagnèrent alors Uxellodunum sur la Dordogne, avec la même dextérité que leur ancien chef s’était réfugié dans Gergovie.
Uxellodunum était imprenable de vive force. Pour n’avoir point à redouter un blocus, les deux chefs se hâtèrent d’y accumuler les vivres. Lucter pensait sans cesse au sort d’Alésia, qu’il avait failli partager : elle avait été vaincue autant par la faim que par les armes. Et, avec une continuité de confiance qui le distingue des autres Gaulois, il espérait, s’il échappait à la famine, échapper aussi aux Romains, et peut-être même, par la force de son exemple, décider la Gaule à résister jusqu’au départ de César. Par malheur, il se laissa vaincre par le légat et rejeter hors de la place. Drappès à son tour fut battu et pris. Mais les défenseurs d’Uxellodunum ne se découragèrent pas, aussi tenaces que leurs chefs. Alors César arriva.
La marche de César, depuis la Meuse jusqu’à la Dordogne, marqua la Gaule d’une traînée sanglante. Chez les Carnutes, visités une troisième fois de l’année par les armées romaines, il put enfin, après une étonnante chasse à l’homme, mettre la main sur Gutuatr. Lui et ses légions avaient à tout prix besoin, pour être en règle avec les dieux de Rome, du corps de l’homme qui avait donné le signal de la lutte à toute la Gaule et à Vercingétorix lui-même. L’exécution du chef carnute fut faite en vue de toute l’armée, et il semble que César ait permis à chaque soldat de prendre un peu du sang de celui qui avait versé le premier sang romain. Il fut battu de verges par tous ceux qui se présentèrent, et il n’était guère plus qu’un cadavre quand on se décida à le frapper de la hache.
À Uxellodunum, César, ne pouvant recourir à la force ou à la famine, essaya d’un moyen plus sûr encore, la soif. Il bloqua par une terrasse l’accès de la principale source, il la capta ensuite par des conduits souterrains. Les défenseurs de la ville, se sentant, comme Vercingétorix dans Alésia, abandonnés par leurs dieux, se rendirent à César. Il leur lit couper les mains, et les renvoya, vivants et libres, et montrant par toute la Gaule leurs bras mutilés, signe indélébile de la vengeance du peuple romain. Drappès, qui était prisonnier, se laissa mourir de faim ; Lucter fut pris par l’Arverne Épalhnact, qui le livra à César.
Comm, Dumnac et Ambiorix restaient encore. Connu battit les routes jusqu’à l’hiver, harcelant les convois des Romains, espérant toujours amener quelque révolte et voir poindre quelque allié. Mais, quand il fut presque seul, traqué de toutes parts, il parut se lasser et se rendre, assez habile d’ailleurs pour obtenir la vie et la liberté. Il finit par regagner davantage : car de tous les chefs gaulois que connut César, ce fut celui qui avait l’esprit le plus fertile en ressources. Il put s’évader de la surveillance où le tenaient les Romains ; il s’embarqua pour la Bretagne ; il échappa, par une dernière ruse, à la poursuite des vaisseaux ennemis que commandait, disait-on, César lui-même. Il trouva dans l’île quelques amis, y fut rejoint par des Atrébates, et réussit à fonder un peuple sur les bords de la Tamise, que son fils gouverna plus tard comme roi. Des survivants de la conjuration de 52, Comm fut le seul qui parvint à demeurer à la fois chef de tribu et libre de l’étranger. Dumnac et Ambiorix ne gardèrent l’indépendance qu’à la condition de se cacher, aux deux extrémités opposées de la Celtique, celui-là peut-être en Armorique, celui-ci en Flandre. La Gaule put encore offrir, dans ses plus lointains marécages, un inviolable asile aux derniers émules de Vercingétorix.
À suivre...