Vercingétorix
Chapitre XI - Le passage des Cévennes par César.
1. Les forces romaines en février 52.
L’armée romaine occupait alors, à l’Est de la Gaule, la région circonscrite par Dijon, Sens, Reims et Toul. Deux légions étaient campées aux frontières des Trévires, peut-être chez les Rèmes ; deux autres chez les Lingons, à Langres ou à Dijon ; le principal effectif de troupes était à Sens, où hivernaient six légions : les magasins, les dépôts, sans doute aussi tous les otages de la Gaule, devaient s’y trouver réunis.
2. Forces de Vercingétorix ; quelle tactique lui était possible.
Cette ville était devenue le quartier général de l’armée ; elle était à proximité des terres à blé de la Beauce, centre des opérations de ravitaillement. Si les légions devaient revenir en Italie, elles pouvaient de là, en quelques étapes d’une route facile, gagner la Saône et les voies du Midi ; s’il fallait refaire campagne, elles étaient assez près des ennemis de l’Est, les seuls auxquels pensât encore César. Enfin, tout autour de Sens, sauf à l’Ouest, où étaient les Carnutes, elles s’appuyaient sur des peuples étroitement amis, les Rèmes, les Lingons, les Éduens : ces deux dernières nations gardaient les chemins de la Province, ceux par lesquels l’armée communiquait avec Rome et avec son chef.
3. Son plan de guerre. Retour de César.
De ces dix légions, six, la VIIe, la VIIIe, la IXe, la Xe, la XIe et la XIIe, avaient fait, sous les ordres de César, toutes les campagnes gauloises depuis 58 : les quatre premières, recrutées dans l’Italie proprement dite, étaient déjà anciennes quand la guerre avait commencé ; le proconsul avait levé les deux autres dans la Gaule Cisalpine au moment de s’engager dans la lutte. Les quatre autres étaient de formation plus récente, mais également d’origine italienne : c’étaient la XIIIe, la XIVe, la XVe et la Ire, qui dataient, celle-là de 57, et les trois dernières de 53. L’effectif normal de chaque légion est évalué à six mille hommes : mais il est fort douteux, même en tenant compte de l’appoint périodique des recrues annuelles, qu’il ait jamais été maintenu à ce chiffre ; une légion devait sans doute renfermer plus de quatre mille hommes, mais atteignait rarement cinq mille. — En revanche, la qualité de ces hommes était supérieure : c’étaient des soldats admirables que ceux des quatre vieilles légions (VIIe-Xe), rompus à toutes les manœuvres intelligentes et à toutes les prouesses physiques, tour à tour infatigables à la marche, agiles à l’escalade, terrassiers, charpentiers, machinistes, soldats de jet et d’arme blanche, viseurs impeccables, solides dans le corps à corps, le bras et le jarret d’un irrésistible ressort ; ceux de la Xe surtout, mâles robustes venus des Apennins et de l’Italie centrale, faisaient de leur légion une masse formidable, au milieu de laquelle César pouvait se dire aussi en sûreté que derrière la plus forte des citadelles. Au-dessus, ou plutôt au premier rang de ces hommes, étaient leurs centurions, presque tous couverts de blessures, vieux officiers sortis du rang, demeurés rudes, vaniteux et populaires, mais toujours hardiment compromis au chaud des batailles : tels que Lucius Fabius et Marcus Pétronius, tous deux de la VIIIe.
4. Premières opérations autour de Sens, dans le Berry, et vers le Sud.
Drappès réussit à intercepter, autour de Sens, les convois de vivres et de bagages. Les légions ne bougèrent pas, les légats se laissèrent plus ou moins bloquer, et, quand les Éduens leur apprirent le danger des Bituriges, ils se bornèrent à donner le conseil d’aller les secourir.
Vercingétorix avait descendu la rive gauche de l’Allier ; au delà des bois de Souvigny (en face de Moulins), il pénétra sur le territoire des Bituriges. Ceux-ci appelèrent à leur secours les Éduens leurs patrons : les Éduens, après avoir pris l’avis des légats, leur envoyèrent un corps de cavalerie et d’infanterie. Mais, arrivé sur la Loire, frontière commune des deux peuples, le détachement n’osa franchir le fleuve et rejoindre les Bituriges, qui étaient sur la rive gauche : Vercingétorix s’approchait, gagnait du terrain, plutôt en négociant qu’en combattant. D’étranges pourparlers furent peut-être engagés entre les trois armées : on fit croire aux Éduens que, s’ils passaient la Loire, ils seraient trahis par les Bituriges et pris entre eux et les Arvernes : ce qui, après tout, était possible, comme aussi il est fort probable qu’ils se soient laissés acheter. Les Éduens rebroussèrent chemin au bout de peu de jours, et regagnèrent Bibracte ou leurs autres villes, sans avoir rien fait. Tout de suite après leur départ, les Bituriges fraternisèrent avec les Arvernes.
Ce fut la seconde victoire de Vercingétorix. Victoire morale : car les Bituriges étaient peut-être le plus vieux peuple de la Gaule ; dans les siècles passés dont les bardes chantaient encore la gloire, c’étaient eux, disait-on, qui, comme plus tard les Arvernes, avaient donné son roi à tout le nom celtique, et c’était sous la conduite de deux chefs bituriges, Bellovèse et Sigovèse, que les Gaulois avaient pour la première fois couru à la conquête du monde. Mais c’était aussi un avantage militaire considérable : les Bituriges étaient riches en terres et en bourgades ; leur principale ville, Avaricum (Bourges), passait pour la plus belle peut-être de toute la Gaule ; leur défection amputait la ligue éduenne ; leur soumission permettait aux Arvernes de donner la main aux Carnutes ; enfin, en quelques jours de marche dans des pays amis, par la Loire et le plateau de Montargis, Vercingétorix pouvait arriver en face de Sens et des légions. Pendant ce temps, qui sait si les Éduens, ébranlés par cette première déconvenue, ne songeraient pas à offrir des gages à la Gaule conjurée, en barrant la route à César sur les rives de la Saône ?
Au Sud, Lucter fit d’abord merveille. Il traversa rapidement, en dépit de l’hiver et de routes atroces, le Gévaudan et le Rouergue. Il y fut bien accueilli. Cabales et Rutènes étaient de vieux clients des Arvernes, tout prêts à suivre leurs patrons dans de nouvelles guerres ; ils accordèrent à Lucter les otages qu’il voulut, ils lui fournirent des renforts, appoint d’autant plus utile à la cause gauloise que les Rutènes étaient les meilleurs archers de la race. Toutes ces bandes continuèrent plus bas. Le roi des Nitiobroges, Teutomat, fil le même accueil à l’envoyé de Vercingétorix ; il oublia sans peine que son père avait reçu du sénat le titre d’ami du peuple romain ; il donna des hommes pour grossir la troupe. Et ce fut à la tête d’une véritable armée que, tournant vers l’Est, Lucter remonta la Garonne pour franchir la frontière romaine et pousser brusquement jusqu’à Toulouse et Narbonne. — Mais, devant lui, il trouva César.
À suivre...