Le bœuf est l'un des animaux qui aura été le plus utile à l'homme depuis que celui-ci l'a chassé, domestiqué et élevé. Sa peau, sa viande, sa graisse, ses os, sa force, sa chaleur... ont permis aux hommes de se vêtir, se nourrir, se chauffer et travailler. Originaire de différentes régions selon sa race, c'est à une autre origine que nous allons nous intéresser : c'est du nom, bœuf.
Les Grecs le nommait bous, et les Romains bos, bovis, ce qui a donné en ancien français, buef, boef et beuf, avant d'aboutir, au XVIè siècle, à bœuf. Mais entretemps, les Anglais nous avait emprunté notre boef, et en avait fait un beef... qui nous est revenu grillé, au XVIIè siècle, sous la forme de roast-beef (littéralement, "bœuf rôti"), et découpé en tranche sous la forme de beef-steack (littéralement, "tranche de bœuf"), au XVIIIè siècle. Par la suite, l'orthographe de ces mots a été francisée en rosbif et en bifteck.
Avec le lait de la vache, les hommes feront du beurre. En Grèce on l'appellera durant l'Antiquité, bouturon, nom composé de bous, le "bœuf" ou la "vache", et de turos, le "fromage". En latin, ce bouturon grec est devenu du butyrum, mot dont la langue française a fait au Moyen Âge, du bure et du burre, puis enfin, au XVIè siècle, du beurre.
En grec, le mot bous, associé à limos, la "faim", a également servi à former l'adjectif boulimos et le nom boulimia. L'adjectif signifie "qui a une faim de bœuf", "qui souffre de boulimia", c'est à dire d'une "faim dévorante". Boulimia est à l'origine de boulimie, nom qui s'est employé en français à partir du XVè ou XVIè siècle pour désigner un "appétit insatiable", et, en médecine, la maladie dont souffre une personne qui éprouve une sensation de faim permanente, qui est boulimique.
Au XIXe siècle, boulimie a aussi pris le sens figuré de « désir intense et continuel de quelque chose » : par exemple une boulimie de savoir, c’est « une immense curiosité intellectuelle ».
Dans l’Iliade, le poète grec Homère décrit une hekatombê, mot créé à partir de hecaton, « cent » et bous, « bœuf », et qui signifie littéralement « sacrifice de cent bœufs ». Plus généralement, l’hekatombê était, dans la Grèce antique, une cérémonie religieuse au cours de laquelle un grand nombre d’animaux, bœufs et autres (chèvres, moutons…), étaient immolés, offerts en sacrifice aux dieux qui se nourrissaient du fumet de ces viandes grillées. L’hekatombê, selon Homère se déroule ainsi : « Après avoir prié et répandu de l’orge non moulue, ils [Ulysse et ses compagnons] tirèrent vers le ciel la tête des victimes [les bœufs et les moutons…], les égorgèrent, les écorchèrent ; ils coupèrent les cuisses » et les firent brûler, puis « ils dépecèrent le reste des victimes, embrochèrent les morceaux, les firent rôtir habilement »…
C’est justement dans le sens de « massacre d’un grand nombre de personnes » que le mot hécatombe, issu du grec hekatombê, a pris en français, au XVIIè siècle, devenant ainsi synonyme de « carnage » ou « tuerie ». Par exemple, on peut dire que la bataille de Waterloo, perdue par Napoléon 1er en 1815, et qui fit plus de 10 000 morts, fut une hécatombe. Bien avant Napoléon, Alexandre le Grand, dans ses guerres de conquête à la tête des armées grecques, au IVè siècle avant J.C., a provoqué quelques hécatombes mémorables, comme celle de la bataille de l’Hydaspe, aux frontières de l’Inde . On raconte que Bucéphale, le célèbre cheval d’Alexandre le Grand, serait mort lors de ce combat. Or Bucéphale, en grec Boukephalas, est un nom qui associe bous, le « bœuf », et kephalê, la tête, et qui par conséquent signifie « tête de bœuf ».
Selon Pline l’Ancien, auteur romain du 1er siècle, Bucépahle était ainsi nommé « soit à cause de son aspect farouche, soit à cause d’une tâche en forme de tête de taureau qu’il avait sur l’épaule ». Le même Pline, dans son Histoire naturelle, décrit, outre les chevaux en général et Bucéphale en particulier, de nombreuses espèces animales, dont les serpents. Et voici ce que dit Pline au sujet des boas : « ils se nourrissent d’abord en tétant les vaches ; c’est de là que vient leur nom. D’après Pline, donc, le mot boa (qui en latin désignait, tout comme sa variante bova, un grand serpent) serait dérivé de bos ou bovis (le bœuf ou la vache en latin). Cette étymologie est possible, mais hypothétique, tout comme celle du mot boy, le « garçon » anglais, qui figure dans les dictionnaires français depuis le XIXè siècle…
Et ça se complique ! A l’origine du mot boy, il pourrait y avoir le grec boeiai, désignant une « lanière faite de peau de bœuf », et, par extension, « un lien, une entrave ». Boeiai a donné, en latin, boiae, les « fers » (qui servaient à entraver les prisonniers), et ce nom pourrait être l’ancêtre du verbe embuier, qui en ancien français signifiait « enchaîner, entraver ». C’est de ce verbe que les Anglais auraient tiré leur boy, en lui attribuant, d’abord, le sens d’ « homme enchaîné, prisonnier des fers ». En tout cas, au XIVè siècle, le mot boy désignait en Angleterre un « esclave », parallèlement à un « garçon » ou à un « jeune homme ».
Toujours à propos du bœuf et des mots anglais utilisés en français : cow-boy (cowboy en anglais) est apparu au XVIIIè siècle. A cette époque, en Angleterre, le cow-boy était l’équivalent de notre vacher (puisque cow est nom anglais de la vache), ou de notre bouvier, mot issu du latin boarius ou bovarius, le « marchand de bœuf », mais qui a pris, en français, le sens de « gardien de bœufs ». Dans la Grèce antique, le gardien de bœufs était un boukolos… A partir de ce mot, la langue grecque, a forgé l’adjectif bukolikos signifiant « qui concerne les bouviers » et plus généralement « qui concerne les gardiens de troupeaux (bouviers et bergers). Cet adjectif, repris par le latin bucolicus, puis par le français bucolique, s’est employé en poésie, dès l’Antiquité pour qualifier une œuvre exaltant les joies de la vie champêtre, et chantant l’amour de la Nature et de la campagne. Parmi les maîtres du genre bucolique, on peut citer le poète grec Théocrite (IVè-IIIè siècles avant J.C.) et le poète latin Virgile (1er siècle av. J.C.) qui justement est l’auteur d’un recueil intitulé Bucolica (les Bucoliques). Aujourd’hui, comme jadis, on peut goûter les plaisirs bucoliques, se sentir l’âme bucolique devant un calme et doux paysage campagnard… Et cela, ne l’oublions pas, grâce au bous, au bos, au bœuf quoi !