Au cours de l’hiver 54-53 avant Jésus Christ, Ambiorix entre dans l’Histoire. Celui dont le nom « Ambi » (double) et « rix » (roi) signifie roi de deux pays s’oppose à l’envahisseur romain avec succès. Dans un premier temps…
César vainqueur partout a concentré six légions (c’est-à-dire pratiquement toute son armée) chez les Belges, pour leur quartier d’hiver.
Mais le pays n’est pas très riche et, en outre, les Romains y ont commis beaucoup de ravage au cours des deux années écoulées… Aussi les vives manquent-elles.
Cela contraint le général à espacer ses divers corps, pour mieux assurer leur subsistance. Six camps sont aménagés, correspondant chacun à une légion : chez les Bellovaques (Beauvais), les Ambiens (Amiens), les Neviens (Flandre et Brabant), les Morins (Boulonnais), les Rèmes (Reims), et les Éburons (Ardennes belges).
La ville de Tongres se nommait Aduatuca. C’était une petite cité celtique. César y avait installé la plus forte garnison de son dispositif de contrôle, commandée par l’un de ses meilleurs officiers, nommé Quintus Titurius Sabinus, assisté de détachements implantés autour, sous les ordres de Lucius Aurunculéius.
À vrai dire, Jules César considérait les Éburons comme sans danger, et n’était préoccupé que par la proximité de la grande tribu celte des Trévires (Luxembourg et Rhénanie), hostile à la mainmise romaine sur la Gaule.
Il ignorait tout de ce qui se tramait réellement en pays éburon. Celui-ci était curieusement gouverné non par un mais par deux rois : Ambiorix et Catuvolcos.
César essayait de les dresser l’un contre l’autre, par un jeu subtil. Mais en réalité, tous deux étaient tombés d’accord pour préparer un soulèvement, afin de libérer leur patrie commune.
À l’insu des espions à la solde des Romains, ils s’étaient rencontrés dans la forêt, en compagnie des Druides, afin de tout mettre au point… Au bout de cette rencontre importante, ils avaient obtenu l’encouragement d’Indutiomar, roi des Trévires, qu’ils étaient parvenus à contacter sans que l’occupant l’apprenne.
Brusquement un soulèvement eut lieu. Les patrouilles romaines quadrillant le pays furent partout assaillies et anéanties par les insurgés éburons. Puis, des milliers de guerriers s’attaquèrent au camp de la légion. Ambiorix et Catuvolcos étaient à leur tête.
Toutefois, ils échouèrent devant les retranchements et encerclèrent alors la place. Celle-ci pouvait tenir longtemps, car elle disposait de vivres pillés sur le pays.
C’est alors qu’Ambiorix eut recours à une ruse. Il proposa une entrevue, faisant croire aux chefs romains que toute la Belgique s’était soulevée, et que partout les légions étaient assaillies et vaincues. Dès lors, Sabinus craignit de se retrouver isolé en territoire hostile et voulut savoir si les Éburons le laisseraient rallier le reste des armées romaines.
Le chef éburon accepta car il lui fallait à tout prix, pour espérer le vaincre, attirer l’ennemi en terrain découvert, hors de ses retranchements. Dès le lendemain matin, les Romains évacuèrent leur camp. Mais à moins d’un kilomètre de celui-ci, ils se virent entourés par les éburons au fond d’une vallée encaissée. Toute issue avait été bloquée. La bataille eut lieu, opiniâtre et féroce : les Romains étaient dominés.
Ambiorix commandait les attaquants. Il s’empara de tous l’état-major ennemi, qu’il massacra ! À la nuit tombée, la légion de Sabinus et de Cotta était complètement anéantie. Quinze cohortes avaient péri dans les Ardennes.
À la suite d’une victoire de cette ampleur, l’exaltation des patriotes celtes fut immense… Le succès allait en effet au-delà de leurs espérances. En une semaine, les éburons achevèrent la libération complète de leur pays.
Ils furent alors rejoints par les guerriers de la tribu des Aduatuques, leurs voisins, que César avait mis à mal deux ans plus tôt.
Peu après, ce furent les Ménapiens (dans les bouches de l’Escaut, au nord de la Belgique et au sud de la Hollande actuelle) qui vinrent rallier Ambiorix.
À la tête de cette armée celte, ce dernier pénétra alors dans le pays des Nerviens (Flandre française et Brabant belge). En avançant, il faisait fuir devant lui les unités romaines, libérant les zones dans lesquels il progressait.
Les Nerviens, jadis vaincus par Rome, se soulevèrent et vinrent grossir les rangs… Tant et si bien qu’il eut bientôt 60 000 guerriers belges à ses côtés.
Une telle force lui permettait désormais de frapper l’ennemi de façon plus directe. Il se mit donc en marche contre les cantonnements de Quintus Cicéron, commandant de l’armée romaine en pays nervien (près de Charleroi).
Le siège du camp ennemi fut entrepris. Cependant, alors que ces évènements ce déroulaient, César se trouvait avec des troupes dans le pays des Ambiens. C’est là qu’il apprit la nouvelle des désastres successifs qu’Ambiorix avait infligés aux troupes romaines.
Il aurait voulu prendre Ambiorix en étau. Mais celui-ci apprit à temps l’arrivée des troupes de César. Flairant le piège, il leva le siège du camp de Cicéron et tenta d’intercepter l’armée qui arrivait du sud.
L’endroit où les combattants s’affrontèrent était néanmoins favorable à César, qui parvint à battre les Belges. À l’issu de la bataille, et selon une attitude typiquement celtique, les troupes belges se désagrégèrent, chacun retournant chez soi !
Il faut voir dans cette inaptitude à maintenir leur unité jusqu’à la victoire finale, la grande cause des défaites historiques des peuples celtes.
Plus au sud, les Trévires, conduits par leur roi Indutiomar, avaient pris les armes, conformément à l’accord conclu avec Ambiorix après la victoire d’Aduatuca. Ils avançaient dans le pays des Rèmes, leurs ennemis traditionnels, lesquels étaient alliés aux Romains. Mais en apprenant la dispersion de la coalition militaire belge, ils s’arrêtèrent brusquement et firent demi-tour.
César mit à profit l’éclatement de la coalition d’Ambiorix pour refaire ses forces, afin de reprendre l’offensive au printemps. Ce temps fut utilisé pour amener trois nouvelles légions mais fut perdu par les Belges, qui paraissent avoir été d’une insouciance incroyable face au péril pourtant imminent et prévisible. Seuls les Trévires tentèrent de rassembler tous les patriotes, y compris les guerriers des tribus celtes en Germanie, en prévision de la prochaine guerre d’indépendance.
À la fin de l’hiver -53, César avait achevé la concentration de ses renforts.
Il commença par punir les Nerviens d’avoir rallié Ambiorix, en massacrant beaucoup et en déportant plus encore en esclavage. Puis il mena ses opérations plus au sud, chez les Carnutes et les Sénons, qui avaient eu une attitude favorable à l’insurrection belge. Enfin, il s’en prit aux Ménapiens. Ambiorix était désormais complètement isolé. La vengeance de César était prête.
On était au printemps. Toutes les tribus qui s’était jointes aux Éburons, disloquées, avaient été écrasées les unes après les autres par César. Les Éburons étaient terrorisés, n’osant plus bouger, attendant que l’inéluctable vengeance s’abatte sur eux.
C’est dans ces circonstances que la cavalerie romaine arriva sur leur territoire. Elle avait pour mission de s’emparer à tout prix d’Ambiorix. Son clan se sacrifia, retardant l’ennemi et lui permettant de justesse de s’échapper.
À grand peine, il se refugia dans la forêt. Mais bientôt, après ce raid de cavalerie, dix légions romaines pénétrèrent en pays éburon. Elles incitèrent les peuples voisins, appauvris et affamés du fait des restrictions romaines, à se jeter sur les Éburons, pour participer au pillage.
La nation toute entière s’enfuit dans les bois pour échapper à l’horreur. On les traquait comme du gibier. Catuvolcos se suicida pour ne pas tomber entre les mains des Romains.
Beaucoup d’Éburons, hommes, femmes et enfants, se voyant encerclés, se poignardèrent pour ne pas tomber aux mains de l’ennemi. Ici et là, des groupes purent être capturés… On les vendit aux marchands d’esclaves romains. Où finirent-ils leurs jours ?
Ambiorix échappa à toutes les traques. Dix fois, on faillit se saisir de lui… Dix fois, il passa à travers les mailles du filet. Finalement, il franchit le Rhin, avec quatre cavaliers.
Durant une année, les recherches demeurèrent vaines. Puis, lors du soulèvement général de Vercingétorix, le « Sanglier des Ardennes » fit sa réapparition.
Il rallia dans les forêts, les hommes de la nation éburonne, survivants proscrits, et entreprit avec eux de mener la guérilla contre l’occupant.
Et lorsque tout fut vain, il s’échappa encore et disparut, au fond de la vaste et impénétrable forêt de la Déesse Arduinna, qui donna son nom au massif des Ardennes.
Jamais il ne se rendit. Jamais il ne fut pris.
Voilà pourquoi le Belges le considèrent encore, plus de deux mille ans après, comme un symbole de liberté.
Source : Magazine Keltia N° 11